Importance d'un EIAH

L'importance des EIAH n'est aujourd'hui plus à démontrer. S'il avait fallu le faire rapidement, la variété et la richesse des thèmes de recherche proposés dans la littérature en seraient sûrement les meilleures preuves. Pour répondre de façon détaillée à  une telle importance, nous proposons trois points permettant de s’en approcher, et que nous compléterons dans le chapitre 1 de la deuxième partie de ce mémoire. Le premier point repose simplement sur le fait qu'un EIAH constitue de nos jours un des moyens les plus efficaces pour individualiser l'enseignement. Le second point est relié au fait qu'un EIAH permet d'expliciter les différentes connaissances utilisées dans l'acte d'enseignement. Le troisième présente l’impact des EIAH sur certains aspects théoriques et/ou pragmatiques des différentes disciplines impliquées dans sa conception.

Un EIAH constitue un moyen d’individualiser et d'adapter l’enseignement

Dans la situation traditionnelle de classe, un enseignant s’adresse à plusieurs apprenants en même temps, il se voit généralement incapable de prendre en compte les besoins des différents apprenants et de s’adapter de façon efficace au style d’apprentissage de chacun d’eux.

La premier rôle assigné aux EIAH est d’altérer cette situation et d’offrir la capacité de s’adapter à l'apprenant. En effectuant une modélisation de l’apprenant, un tel système peut en principe, à chaque moment de l’apprentissage, adapter à la fois le contenu et la forme de sa présentation. Il peut également, comme le souligne Ohlsson (Ohlsson, 1986), non seulement prendre en compte les différences interindividuelles stables entre apprenants, mais aussi se focaliser sur les fluctuations cognitives de l'apprenant dans le temps. Par ailleurs, un EIAH peut générer des explications, des exemples, des contre-exemples, des problèmes pratiques, des illustrations, ou des démonstrations qui constitueront une aide importante à l'apprenant.

Vues sous cet angle, les EIAH sont supposés apporter un bénéfice pédagogique au moins égal à celui qu'on tirerait du dispositif traditionnel. Même si peu d’études expérimentales ont été effectuées pour essayer de mesurer l’impact réel que peuvent avoir ces environnements sur l’apprentissage, la plupart des auteurs partagent à peu près le même avis. Salomon (1992) par exemple, affirme que l'ordinateur rend possible l'implication de l'étudiant dans des habiletés de pensée de haut niveau en fournissant un support à la mémoire et en jaugeant des variables inter-reliées. Jonassen (1992) considère que les EIAH facilitent l'acquisition de connaissances supérieures, et permettent d'acquérir de l'expertise dans des domaines complexes ou mal structurés. Vosniadou (Vosniadou, 1992) soutient le fait que ces environnements conviennent bien pour aider les étudiants à restructurer leurs croyances. Pour justifier ce fait, il utilise l'exemple des environnements basés sur la simulation, qui peuvent simuler des processus difficiles à observer dans la réalité ou alors des processus abstraits, ce qui pour cet auteur, contribue à aider les étudiants dans l'appréciation de leurs croyances.

Quoiqu’il reste beaucoup à faire pour comprendre vraiment ce que peuvent apporter les EIAH à l’apprentissage humain, nous pouvons être convaincus qu’ils ont quand même permis de déchiffrer un bon nombre de points, tels que l’individualisation de l’enseignement, le diagnostique cognitif, la planification dynamique, etc.

Un EIAH permet de Penser l’acte d’enseigner

Le développement des EIAH a joué un rôle capital dans la compréhension et la validation de l’acte d’enseigner. En effet, dès qu’on essaye de penser à un système capable d’enseigner, la première des choses qui vient à l’esprit c’est la recherche de modèles théoriques adaptés aux acquisitions visées. L’histoire des EIAH était essentiellement marquée par ces choix et par la traduction d’une théorie en un système qui fonctionne en respectant les principes fondamentaux de la théorie choisie. Dans ce contexte, et comme nous l'avons signalé au début de ce document, les recherches sur les EIAH sont passées du béhaviorisme, à la théorie de l’information, au constructivisme, puis au constructionisme, et enfin l’apprentissage social de Vygotsky.

En second lieu, les différentes recherches sur les EIAH se sont confrontées au problème de l’explicitation des différentes connaissances mises en jeu dans l’acte d’enseignement. Ces considérations pragmatiques ne sont pas négligeables et ont fait couler beaucoup d’encre. Le modèle de Clancey (Clancey, 1987), avec le programme GUIDON, constitue à ce propos une bonne illustration. Dans ce système, Clancey définit les procédures de conception d’un système expert en proposant d'analyser le domaine de référence à partir de protocoles d’experts et de novices.

Il s’agit en fait de modéliser un ²expert enseignant²  pour extraire les connaissances indispensables afin de reconstituer une partie de cette expertise sur machine. Cette construction, effectuée le plus souvent, au sein de l'équipe pédagogique d’un projet EIAH, n’est pas simple. Elle dépend des conceptions de chacun, et est souvent contrainte par la diversité des productions de la littérature spécialisée dans le domaine de référence visé. De plus, elle met toujours en jeu les conceptions implicites qu'a l'enseignant en ce qui concerne : les contenus, les objectifs de son enseignement, les analyses qu'il fait des activités (ou exercices), les représentations qu'il a de la personne à former, et plus particulièrement de la façon dont elle apprend. Ce processus conduit certainement à une remise en cause de ces conceptions et par conséquent à une meilleure façon de penser l'acte d'enseignement.

Un EIAH est un moyen de faire évoluer d’autres disciplines

Les EIAH ont bénéficié des enseignements de l’Intelligence Artificielle, de l’Informatique, de la linguistique,  de la psychologie cognitive, et des sciences de l’éducation. À leur tour, les EIAH ont contribué -- ils risquent de le faire encore longteùmps -- au développement des connaissances des autres disciplines.

En effet, le travail effectué dans les systèmes sur la modélisation de l'apprenant, notamment pour assurer une meilleure adaptation à l’apprenant a permis aujourd’hui de prendre en compte l’utilisateur dans la conception des interfaces intelligentes. Que ce soit les recherches sur le commerce électronique ou dans le domaine des agents intelligents de recherche sur le Web, la modélisation de l’usager constitue actuellement un champ de recherche actif (Maes, 1997; Jennings, Sycara, Wooldridge, 1998).

Les travaux effectués sur les EIAH ont également permis d’expérimenter les différentes représentations de connaissances introduites en IA et de montrer ainsi leur pertinence ou leur faiblesse. Les réseaux sémantiques ont très rapidement été remplacés par les frames, puis par les objets. La logique classique n’a à ce propos pas eu beaucoup d’enthousiasme contrairement à la logique épistémique qui a été largement défendue par la plupart des auteurs, nous citons ici en particulier le travail effectué par Self (Self, 1991).

Cette double influence a permis aussi à la psychologie cognitive de se servir des idées sur les EIAH pour essayer de modéliser le fonctionnement cognitif des êtres humains en général, ce qui à son tour a largement influencé les sciences de l’éducation.

Par ailleurs, les EIAH ont dû aussi s'inspirer de la linguistique. Un système comprenant un module de traitement automatique des langages naturels(TALN) va pouvoir, par l'intermédiaire d'un analyseur syntaxique, permettre à un apprenant de produire des phrases qui ne seront pas prévues par le système mais que celui-ci pourra néanmoins traiter afin de donner un retour à l'apprenant.

La linguistique quant à elle, par l’intermédiaire du TALN, élabore de nouveaux modèles qu’elle peut ensuite expérimenter et valider (notamment dans l’apprentissage des langues). Cela permet également au TALN de développer ses propres outils de synthèse vocale ou de traduction automatique, très demandés de nos jours.